« Sans titre », Françoise S., Pontarlier, Cinécriture

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec mes souvenirs liés à Pontarlier, j’y ai habité pendant 15 ans.
Hier, à Besançon, une femme, afghane, que je ne connais pas a entamé son éternel voyage.
« Eternels voyageurs », thème de la rencontre cinématographique de cet automne, et « éternel voyage » pour Razia. Dans le premier cas, une connotation géographique pour le peuple des ROMS et pour le deuxième cas une connotation intemporelle pour Razia. Bouleversée, je veux m’exprimer pour qu’elle ne soit pas pour moi qu’une information, je veux lui donner une place dans ce texte, pour garder trace.

Un proverbe ROM dit : « Tu ne peux pas marcher droit quand la route est sinueuse ». Alors ce matin, nous avons déambulé dans les rues de Pontarlier, sans plan précis. La route était sinueuse mais mes pensées aussi. Au marché, lieu habituel de rencontres, de vie, régnait une atmosphère de tristesse. Quelques étals, quelques badauds et j’y ai, aussi, aperçu une femme, j’ai pensé d’origine polonaise, vêtue d’une longue jupe colorée, d’une superposition de pulls et d’un châle, avec un fichu sur la tête. Qu’a-t-elle fui en venant à Pontarlier ? Un mari violent ? Tout comme Razia. Sa vie était en danger, elle n’a eu d’autre choix que de fuir. Deux ans d’errance avec ses trois enfants avec la peur au ventre, son mari ayant proféré à son encontre des menaces de mort.

Puis, passant devant un lycée privé, j’ai lu sur le fronton la devise : « Aimez-vous les uns les autres » tiré de l’évangile de Jean. Razia a-t-elle connu un jour l’amour ? A-t-elle été choyée par ses parents ? Et son mari, l’a-t-il aimée avant de la haïr ? A côté de ce verset, une bannière était tendue le long de la façade « liberté, égalité, fraternité ». Devise de notre république. Aurait-elle failli ? Razia a-t-elle été libre dans notre pays ? Elle a été obligée de se cacher. Oui, l’association « solidarité femmes » l’a aidée, a fait preuve de fraternité, lui a procuré un logement… Mais cela n’a pas suffi pour la protéger.

Ensuite, je suis passée devant un hôtel particulier datant du XVIII° siècle, ancien palais de justice. Façade très ouvragée ; des fruits, des fougères, des blasons l’ornaient mais je n’ai pas vu la balance, symbole de justice. J’espère, de tout cœur, que notre justice arrêtera son assassin et que toute la lumière sera faite sur ce crime. Pas uniquement pour que l’agresseur soit jugé mais aussi pour ses enfants, afin qu’ils puissent avoir confiance dans notre justice et ne vivent plus dans la peur.

Dans l’église où j’ai pu admirer de magnifiques vitraux, il y avait un arbre de Pâques fait par des enfants : des branchages avec des œufs dessinés. Sur un, j’ai lu « j’aime bien ramasser les chocolats ». J’ai souri et cela m’a fait du bien. Il était dans son rôle d’enfant, dans une innocence que les enfants de Razia ont perdue, mais l’ont-ils connue ?

Sur la porte, de côté, une maxime « Vox Clamantis in deserto ». Parler dans le désert. Une femme meurt tous les trois jours de violence conjugale. Des associations dénoncent ce fait. On en entend parler, parfois, aux actualités. Mais que faisons-nous pour que cela cesse ? Razia en a été victime. Sept plaintes déposées.

Je voudrais parler aussi d’une violence que j’ai ressentie en voyant une affiche sur la façade d’une agence de travail intérimaire. Dans le style Western, en haut de l’affiche « Wanted Intérimaires volontaires » – et en bas de l’affiche : Récompense : un numéro de téléphone. Violence par les mots, j’espère involontaire, par maladresse ? En opposition avec la violence tragique, préméditée, infligée à Razia.

Et je vais conclure : au loin, une chapelle se découpait au milieu d’un paysage verdoyant. Le calme s’en dégageait. Et toi, Razia, l’as-tu trouvé dans cet ultime voyage ?


Françoise S., Pontarlier, Cinécriture, octobre 2018

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