« Ciel ou mer ? », Véronique, Trangy, Ecriture et photographie

Ciel ou mer ?

Coline avait toujours aimé le risque : cela la faisait vivre à 200%.

Ainsi, elle avait dès son jeune âge expérimenté de nombreuses situations périlleuses : rouler sur la roue arrière de son vélo, traverser tout en haut du portique familial la haute poutre transversale, comme une funambule, grimper au sommet de nombreux arbres, sauter de la balançoire lorsque celle-ci s’élevait jusqu’au ciel… Les exemples ne manquaient pas… Ils faisaient frémir ses parents tandis qu’ils provoquaient l’admiration de ses pairs.

Elle avait conquis un statut d’héroïne, et cela la flattait… Par ce trait de caractère elle se distinguait des autres, devenait unique, le centre d’intérêt de tous lorsqu’elle bravait le sort lors de ces moments peu ordinaires. Elle était heureuse aussi de montrer que l’audace n’était pas l’apanage de ses copains de classe, que les filles pouvaient être l’égal de certains garçons dans ce domaine.

Elle aimait lors de ces défis sentir son rythme cardiaque s’accélérer et l’adrénaline monter : cela lui procurait un sentiment agréable de grand bien-être et la sensation d’exister pleinement. Bien sûr, il lui arrivait d’avoir peur – mais ainsi elle se sentait vivante, et lorsque le risque avait été franchi elle éprouvait de la fierté, elle était comme grandie : son courage ne lui avait pas fait défaut, elle s’était encore dépassée et cela lui donnait une impression de force qu’elle ne se lassait pas d’éprouver.

Les années avaient passé, les défis s’étaient succédé, s’accordant à son âge. Jamais elle ne s’était blessée : un ange gardien posé sur son épaule la protégeait…

Lorsqu’elle eut 18 ans elle demanda en cadeau d’anniversaire quelque chose qui la faisait rêver en secret depuis longtemps : un saut en parachute.

Il lui semblait qu’elle ressentirait une grande liberté dans l’espace immense du ciel, à côtoyer seule les nuages. Souvent elle avait levé le nez pour contempler le vol des oiseaux et cela avait nourri son rêve de liberté, d’apesanteur, de domination : avoir le privilège d’observer le monde du ciel, monde qui serait alors perçu d’un point de vue singulier, extraordinaire lui semblait par avance enthousiasmant et magnifique !

Cela n’avait pas été tâche aisée de faire accepter à ses parents ce cadeau qu’ils jugeaient dangereux. Mais sa force de conviction l’avait emporté.

Elle avait fait quelques petits vols d’essai avec un instructeur. Puis était arrivé le jour du vol en solitaire, le jour de la navigation au milieu des nuages, de la descente enivrante qui lui ferait rejoindre lentement la terre ferme en ayant l’impression de faire partie du peuple des oiseaux.

Ils étaient plusieurs pour ce baptême très spécial : trois hommes et elle-même, seule femme.

Le ciel était bleu, mais pas complètement dégagé : on y voyait de massifs cumulonimbus, immobiles. Des sentinelles.

On les harnacha de leur parachute et ils montèrent dans le petit avion d’où ils seraient largués. Coline sentait monter la joie en elle, traversée par une certaine appréhension. Cet état d’esprit l’exaltait.

L’avion prit son envol et avec des courbes gracieuses atteignit les nuages et les traversa. Tout au long de la montée l’excitation de Coline s’était accrue : elle touchait du doigt le rêve ultime ; serait-elle à la hauteur ? Saurait-elle garder son sang-froid comme à son habitude ?

Puis les choses se précipitèrent, ce fut le moment de sauter. Quand son tour arriva, Coline vacilla un peu sur le bord de la porte ouverte puis, n’écoutant plus que l’attirance qu’elle ressentait face au vide, s’élança sans plus d’hésitation.

Elle se laissa descendre un peu, comme elle l’avait appris, libre comme l’air, ivre de plaisir, le cœur cognant fort dans sa poitrine.

Puis elle décida de l’ouverture de son parachute : allait-elle se produire ? Un bruit soyeux de tissu que l’on déploie vivement et une secousse sèche, puis un regard vers le haut lui apprit qu’elle s’était mise à voler. Les autres participants au baptême avaient également ouvert leur aile et elle les voyait comme dans un rêve, trois grandes ombrelles blanches rayées de couleurs vives se balançant joliment au gré du vent. Le silence était parfait. On ne distinguait pas encore la terre, cachée par une mer de nuages composée de vagues blanches et grises dodues et ondoyantes. Coline était fascinée, subjuguée …

Tout à coup un vrombissement au loin lui fit tourner la tête. Un avion léger tout en longueur apparut non loin d’eux, filant vers l’est, déterminé. Coline eut le réflexe de saisir prestement l’appareil photo qu’elle avait emporté avec elle pour immortaliser les moments poétiques et magiques de son expérience de vol. Elle visa l’avion qui passait non loin d’elle au détriment de la sécurité aérienne et appuya sur le déclencheur…

Lorsqu’elle développerait la photo elle serait déçue de ne découvrir que l’arrière de l’avion. Mais elle serait également étonnée de constater qu’il était fuselé comme le corps d’un requin dont il avait la queue…

Ainsi surgissant de la mer de nuages avait-elle photographié sur fond de ciel bleu comme les océans un requin passant près d’elle à vive allure, si vite que sa tête en avait été tronquée : image saisissante d’un basculement dans un autre monde, d’une réalité chavirée…


Véronique, Trangy, Ecriture et photographie, le 5 septembre 2020

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